Table ronde III : Bêtisier archéologique


Rencontre avec Jean Pierre Legendre au SRA de Metz


A.G : Quel est l'avenir de l'archéologie?

J.P.L. : Les archéologues ont une très grande confiance en la science, les méthodes de datation, je crois que tout archéologue s'imagine un jour qu'on trouvera une super machine qui nous permettra de voir dans le passé. J'ai vu avec l'arrivée du SIG (système d'informations géographiques), époque où on rentrait des milliers de données dans des ordinateurs, le moindre tesson intégré en 3d, nous pensions qu'il avait la vertu d'être infaillible, et qu'il avait le pouvoir de nous montrer des choses que nous n'aurions pas vu à l’œil nu. Il organisait les données en strates géographiques, cartographie animée, nous pensions qu'il allait en tapant sur entrer créer les liens et donner une image globale et intelligente du site. Cet outil est intéressant mais je pense qu'il faut le voir comme un outil servant à l'inventaire. C'est intéressant car on s'imagine toujours que la connaissance va être exponentielle, je crois qu'au contraire, dans les années à venir, on va certainement se rendre compte que pour certaines périodes on aura un jour tout dit.

A.G : Ce jour-là va-t-il laisser la place à l'interprétation ?

J.P.L. : Il y aura des champs sur lesquels on va progresser, comme l'archéologie urbaine, car le développement des villes est sans arrêt. C'est que le traitement des sites est très souvent aléatoire, ils ne peuvent être traités avec les mêmes moyens. Il y a toujours eu des sites sans moyens plus intéressants que certains avec. C'est la dure loi du financement.
Autre aspect qui me fascine, le choix que l'archéologue doit souvent faire. C'est le cas pour les nécropoles, il est légitime de descendre dans le détail, mais souvent nous sommes dépassés par les informations, je vois ça un peu comme le créateur de Frankenstein qui est dépassé par sa créature.

A.G : parlez-nous du choix, donc de l'abandon de certains objets ou sujets ou époques.

J.P.L. : C'est fondamental en archéologie, oui, il y a bien sûr des choses qui valent plus le coup que d'autres choses et des moments où quand on cherche un objet daté d'une période, on doit supprimer, détruire l'archive.

A.G. : Existe t- il par des textes, ou des transmissions orales, un objet qui n'aurait pas encore été trouvé dont on ignore l'existence?

J.P.L. : Oui, j'en suis sûr, il est vrai que tous les archéologues, je pense, ont envie que leur trouvaille ou leur site soit propice à faire une découverte extraordinaire, une découverte qui fera faire un bond à la science. Cela me fait penser à Rome. On pensait que les auteurs antiques exagéraient quand ils parlaient de palais tapissés d'or et de pierres précieuses, des mosaïques et peintures murales représentaient ces fameux murs sertis de pierres précieuses à Pompéi. L'archéologue rêve toujours de trouver un palais qu'un tremblement de terre aurait laissé intact, ou un site qui se serait fossilisé sur place. Je pense que plus qu'un trésor, le rêve de l'archéologue est de tomber sur cet endroit où le temps s'est arrêté. Bien sûr, on pense à Pompéi, le bois et le tissu ont disparu mais si on regarde les thermes d' Herculanum, ils sont intacts et prêts à fonctionner dans la minute. Cette catastrophe a donné des références sur l'antiquité incroyable, pour la connaissance. Avec des plans de ces thermes, on n'aurait jamais pu élever des murs aussi justement. C'est évident.

A.G. : Cela me fait penser au campement de Millie ?

J.P.L. : Cette affaire me passionne en effet : étudier les objets et les traces d'un campement indien et voir les erreurs d'interprétations...cela me fait penser aux notes que j'ai prises au Cambodge. J'y suis arrivé par hasard, on avait une étape prévue dans le nord, où vivent des tribus comme à l'Âge du bronze. En tant qu'archéologue, je suis sûr de me tromper. Ces peuples vivent dans des grandes maisons sur pilotis, des palafittes, c'est exactement l'idée qu'on se fait du néolithique. Le problème est qu'en occident, on raisonne avec notre culture judéo chrétienne, l'apport de la science cartésienne. C'est comme une stratigraphie du domaine de l'inconscient, ici, si on regarde, elle est en très mauvais état. L'homme moderne et occidental ne peut pas vivre dans une ruine, c'est inconcevable alors que cette tribu n'entretient pas leurs maisons, on le voit sur la photo car ils vont bientôt partir pour cultiver plus loin sur le territoire. En bas des pilotis, on voit un cercueil qui attend, ça ne choque personne qu'il attende la grand-mère sous la maison. Avec notre culture, on s'imagine donc que toute construction est pérenne. On a une image du village pétrifié alors qu'en fait on construisait et on démolissait. Si on regarde de plus près, nos villes subissent encore ces changements, non? L'archéologue parfois a du mal à saisir le temps, à cause de la distance de l'échelle temporelle et aussi à cause de notre culture.

A.G : Existe-t-il des détracteurs de l'archéologie?

J.P.L. : Je crois que les anglo-saxons essaient d'étudier les marges d'erreurs avec lesquelles l'archéologie travaille. En Europe, notre raisonnement est si cartésien que nous pensons que cette discipline est infaillible, ici nos théories sont gravées dans le marbre. Écrites par un grand maître, un grand professeur en quelque sorte. Chez eux, la critique est admise et encouragée auprès des jeunes étudiants.

A.G. : Nous sommes nous rendus compte d'erreurs "honnêtes", d'interprétations ?

J.P.L. : Cela met très longtemps, je n'ai pas d'exemple comme ça. C'est aussi un confort intellectuel que de rester sous les règles. "Malheur à celui par qui le scandale arrive, démolir la théorie du grand maitre".

A.G : Pouvons- nous passer maintenant au bêtisier lorrain?

J.P.L : Lettre d’un particulier dans les années 70 en Lorraine, qui croit avoir découvert des diamants:

"Monsieur l'archéologue : c'est en 70 que je me suis décidé d'écrire au commissaire principal de Longwy. Ici à Gorcy 54730, les collines semblent s'éloigner, ce phénomène est dû à la cheminée diamantifère"
Il pensait que les collines étaient poussées par les cheminées, il a aussi dit avoir trouvé le diamant noir de Gengis Khan, un diamant de 17 kg.
"Cher Conservateur, je pense que le mieux à faire avec toutes ces pierres précieuses et avec les statuettes ou autres objet d'archéo, c’est que vous les exposiez dans votre musée. J'ai expédié à Drouot un colis dont un diamant de cette grosseur (dessin) on croirait des statuettes. "
Ces pierres noires sont en fait des résidus de haut-fourneaux. Très régulièrement nous recevons des lettres de ce type.
" Au musée de Longwy, j'ai apporté rien que un diamant noir de 10 grammes, un rubis de 90 à 110 g , des oeufs en quartz aurifère de 90 grammes, une tête de serpent en serpentinite. J'ai dernièrement remis une demande de prix du terrain de la mine de diamant...1983".
Il y avait aussi un informaticien au chômage qui voyait des formes sur les cartes, il nous expliquait que les hommes préhistoriques auraient sculpté le plateau de Malzéville (54) en forme de loup, il expliquait très sérieusement ce phénomène en disant que c'était tout à fait plausible car les hommes préhistoriques avaient bien sûr à l'époque beaucoup plus de temps libre que nous. Ou encore l'histoire du bourguignon qui avait trouvé des pierres sculptées provenant, disait-il, de l'art sexuel. De la position du chêne planté, l'homme se mettait sur la tête et la femme le recouvrait de peaux de bête, ces pierres sont le fruit de l'accouplement, il y en a dix pages je vous l'enverrai...


CatégoriePropriétéValeur
ObjetAuteurJean Pierre Legendre
ObjetGenrefiction
point de vue
poétique