Table Ronde I : Sédimentologue


Rencontre avec Jean Yves Reynaud
Mercredi 21 décembre au Laboratoire de Géologie au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris, 23 rue Buffon, Paris 75005 au sujet d'un objet trouvé sur la plage dans le Morbihan, proche de l'île de Théviec. Cette pierre est elle naturelle ou sculptée par l'homme?

Interview :


-La Nature imite, l'homme reconnaît

J.Y. R. « J’ai eu dans les mains ce galet oblong trouvé par Karine Porreaux sur la plage dans le morbihan, et je l'ai photographié. Avant qu’elle ne me dise quoi que ce soit, j’ai tout de suite pensé à un visage gravé. Elle m’a ensuite expliqué que c’est aussi ce qui l’avait intriguée au point qu’elle le rapporte chez elle. Via David Menier, mon collègue de l’Université de Vannes, j’ai ensuite fait expertiser la photo par Serge Cassen, archéologue à Nantes. A la question : « le visage sur la pierre est-il naturel ou est-il façonné par l'homme ? » Il répondu « Il ne s'agit pas d'une hache mais d'un galet marin naturel, ce sont ses couleurs qui lui donnent un aspect anthropomorphe accidentel, rien que de très normal, désolé ». Notez que je n’avais pas parlé de hache, comme quoi la forme oblongue et réghulière de l’objet pouvait aussi porter l’imagination.

J’ai alors réalisé que si c’était un artefact, c’était intéressant que ce soit une représentation de visage. Au vu des mégalithes anthropomorpes de Corse, on peut penser que ce n'est pas anormal de trouver en Bretagne des menhirs au visages gravés. Le menhir, c'est l'homme debout, entre l'homme et la pierre : le visage. Seulement, l’objet en question tenait dans la main et rien n’aurait permis de la distinguer d’un autre galet. Il a simplement fallu cette allusion au visage pour en faire, dans mon imagination, un modèle réduit de menhir ! Si cette image est le fruit du hasard de l’érosion d’un gneiss où alternent des lits de minéraux clairs et sombres, elle évoque en tout cas pour moi quelque chose d’universel, en particulier dans la liaison des yeux et du nez en un seul trait. Et je ne sais pas s’il faut alors se désoler que ce ne soit pas un objet archéologique ou se réjouir de voir comment notre culture peut être convoquée par notre imaginaire.

A.G : Pourquoi se désoler ?

J.Y. R. : Au XVIII e siècle, certains esprits, et non des moindres, comme Voltaire, considérait que les fossiles étaient des jeux de la nature. Est-ce le hasard qui fabrique une pierre d'un mimétisme si parfait qu'elle ressemble à un objet manufacturé ou à un être vivant ? A l’inverse, le préhistorien Boucher de Perthes, au XIXe siècle, a cru ramasser des pierres sculptées en forme d'animaux alors qu’il s’agissait précisément fossiles. Il ne pouvait pas imaginer que des animaux se transforment en pierre. Aujourd’hui encore, l'archéologue voit plus facilement des pierres taillées que le géologue… Et quand la vérité est révélée (cela n’est pas toujours le cas), la frustration peut être grande. Dans le cas qu’on évoque, il est amusant de relever que c’était le géologue qui avait pensé gravure et l’archéologue artéfact…

A.G : Quel est l'objet que vous préféreriez trouver ?

Je ne suis pas un géologue qui cherche des cailloux en particulier, comme le feraient de minéraliers. Même si je constitue des collections d’échantillons pour ma recherche, ce qui m’intéresse c’est plutôt de reconstituer des processus géologiques. Les échantillons sont là plutôt comme des preuves ou des objets d’analyse.

A.G : Cette méthode scientifique qui justement permet de distinguer un faux d’un vrai objet archéologique…

J.Y. R. : Oui, par exemple c’est assez facile de reconnaître un faux fossile, sculpté dans la pierre. Les exemples les célèbres de fausses plaques à Orthoceras du Maroc. Les gisements d’Orthoceras existent, les fossiles sont magnifiques mais des artisans les extraient ou plutôt les ramassent sur le sol puis les insèrent adroitement sur des dalles originellement dépourvues de ces fossiles. Le problème, c’est que parfois dans ces dalles on se retrouve avec des fossiles correspondant à des espèces n’ayant jamais coexisté... Mais ce n’est pas grave si l’objet est pris pour ce qu’il est : une création artisanale.

La fossilisation, c’est aussi une osmose étroite entre la riche et les restes organiques, qui rend le faux impossible à réaliser dans le détail. Prenons en exemple ce vertébré de raie qui a 40 millions d'années [il montre une plaque de roche sur son bureau], il serait possible de sculpter son empreinte, correspondant à l'épine dorsale. Mais comme c'est une plaque litée, si on enlève la couche sculptée, la couche inférieure n'aura plus l'empreinte. On pourrait faire des analyses radiographiques ou de cathodoluminescence pour observer l'organisation des grains et des ciments de la roche qui changent dans la masse du fossile. Quand on regarde cette plaque, on ne voit d’ailleurs pas immédiatement le fossile qu'elle contient. Et une fois qu’on a commencé à « lire » le spécimen, on se rend compte que tout colle : le sédiment qui, à l’analyse sur le terrain ou au microscope, se révèle être marin, la façon dont l’animal a été recouvert puis écrasé par les lits sédimentaires et les centaines de mètres de roche qui ont permis sa fossilisation etc… C’est tout un processus qui nécessite des connaissances et qui permet de raconter toute l’histoire, du grain de sable à la roche. Ce n’est pas l'image d'Epinal du fossile bien propre dans sa gangue, qui ne vaut que pour l’animal qu’il est censé représenter.

A.G. : Avez-vous sur ce bureau, parmi vos pierres, une préférée ?

Pas de fétichisme en science. Mais chaque objet est aussi un souvenir du terrain. Et il y a ceux qui sont spectaculaires, ou qui racontent de belles histoires géologiques. Par exemple ce stromatolite [il montre un objet qui ressemble à un fossile de choux-fleur en coupe, avec un côté poli à la machine]. Cette pierre « pousse » au fond d’un lac il y a 23 millions d'années, née de bactéries en symbiose avec des algues. On voit en coupe que la croissance de la pierre se fait par concressionnement, couche après couche. Ce sont des couches de calcaire, comme dans les canalisations d’eau ou les stalactites. Le calacire est précipité sous l’effet du métabolisme de la colonie, et sert de substrat au voiles bactériens. Un peu comme une huître fabrique la coquille qui la protège. Ce qui est amusant c’est que la première couche se développe sur un rognon parsemé de trous : des niches de larves de phryganes, des insectes acquatiques. C’est sur le premier monticule formé par cette activité des insectes que la colonie bactérienne s’installe. En géologie, on reconstitue une histoire avec des acteurs et des actes. On peut raconter une histoire, aller au-delà de l'objet car on plaque sur lui des connaissances prises au travers d'un savoir « orienté objet » mais abstrait car la connaissance est une abstraction. C'est encore plus vrai pour les objets de la géologie que pour des objets archéologiques : c'est pour cela que cet objet m'intéresse [il reprend le galet breton au vrai-faux visage gravé].

A.G : Oui, revenons si vous le voulez à notre objet.

J.Y.R. : Cette roche est un gneiss, elle provient de la transformation d’une roche dont la composition chimique moyenne est faite de la composition de la croûte continentale.
Il s’agit de roches transformées plusieurs dizaines de kilomètres de profondeur par la température et la pression, avec l’appartition de nouveaux qui ont pu s’orienter en suivant les contraintes du bâti géologique. On appelle cela une foliation minérale. Et cela explique aussi la forme allongée du galet de gneiss. On peut observer, dans ce dièdre formant un des côté de l’objet, une surface plane tronquant la surface de foliation. C’est la trace d’une diaclase dans le gneiss qui devait être parcouru de joints dès avant son érosion. La découpe du bloc est le résultat de l’intersection entre la foliation et les diaclases. Il ne me semble pas que cet objet ait été re-façonné dans sa forme extérieure par la main de l'homme.

On a dans ce gneiss une foliation de minéraux sombres et clairs qui alternent en lits centimétriques. Les minéraux clairs, les plus abondants, sont le quartz et les felspaths. Les minéraux sombres sont des amphiboles et des micas. Si on se dit que l'amphibole est moins résistante à l'érosion, cet ourlet plus sombre encadré par deux niveaux plus clairs crée les yeux [il montre un détail l’objet avec le pointe de son stylo]. A mon avis si on grattait là, on tomberait sur l’amphibole du lit inférieur et le dessin serait détruit. Le nez est un gros grain de feldspath et ça c’est bien naturel… [sourires]

Si quelque chose fut ajouté à la sculpture naturelle de l’érosion et au dessin qui en résulte, c'est le tour de la tête, pas le nez ou la bouche. Mais l’artiste n’a alors fait que souligner ou compléter ce que la nature avait fait apparaître.

A.G : Quel peut être avenir de cet objet maintenant ?

J.Y.R. : Un artiste contemporain peut s’en inspirer, s’il s'intéresse aux bizarreries de la nature. On pourrait aussi l’intégrer à une exposition sur les mégalithes, dans une section sur l'interprétation de l'art mégalithique poser la question du vrai ou du faux menhir. Le culturel et le naturel amènent à s'interroger sur la sociologie des objets de la nature. Ses propriétaires décideront.

CatégoriePropriétéValeur
ObjetAuteurAnn Guillaume
Jean Yves Reynaud
ObjetTypeRencontre
ObjetGenrescientifique