Table Ronde II


avec :
Pauline Sebillaud (archéologue)
Thierry Leviez (Commissaire d'exposition)
Axelle Blanc (historienne de l'art et commissaire d'expo)
Yann Desfougères et Mathieu Carmona (artistes)
Florian Javet (Artiste)


A. G : J'ai envie de parler d'art et d'archéologie, qu'on ait une conversation entre artiste, historien de l'art et archéologue passionnée sur notre rapport chacun à l'objet.
Y. D : Nous, on travaille sur un projet cet été dans le cadre de la programmation hors les murs de Pougues-les-Eaux, voilà notre rapport proche à l'archéologie en partenariat avec le centre d'archéo Bibracte.
P.S. : Cela ne m'étonne pas qu'ils s'intéressent à l'art contemporain.
Y. D. : On y est allé une première fois, on a rencontré Céline Poulin, qui nous a amené au Centre. On a visité les collections, je crois que c'est un des derniers projets de F. Mitterand.
P.S : oui c'est LE centre de recherche qui concerne le 2e Âge du fer, ce n’est pas très ancien pour moi qui suis spécialisée dans l'Âge du bronze du deuxième millénaire avant notre ère. Mais je pense que l'oppidum de Coran est mieux que Bibracte, car l'occupation est plus longue, et mieux fouillée, quoi que ce qui est intéressant avec ce centre et leur méthodes pluridisciplinaires, c'est qu'ils ont attribué une partie du site à des archéologues du monde entier. Dans l'esprit de comparaison des méthodes.

A.G : Ils s'intéressent à l'étude de la discipline archéologie ou réellement au site et à ses découvertes? Et alors qui sont les meilleurs ?
P. S. l'I.N.R.A.P bien sûr.

Y.D : je me souviens qu'en paléontologie, ils disaient que les Italiens étaient très forts.
A. G : Vous aurez donc des échanges privilégiés avec des professionnels, sur le terrain? En laboratoire?
Y.D : C'est la première fois qu’on travaille ensemble, on voulait à vrai dire travailler avec l'archéologie car on n’y connaît rien...Notre intérêt porte depuis quelques temps, l'un et l'autre, sur les conditions de fabrication de la Science, sur l'épistémologie des Sciences, et Mathieu sur la naissance de la mythologie.
M.C : J'ai un master à l'E.H.E.S.S, j'ai travaillé sur la question de la mythologie avec Patricia Falguière. Ce projet, c'est comme regrouper nos deux centres d'intérêt et l'archéologie c'est à voir comme un trait d'union.
P.S. : Le fait de savoir alors selon vous, ça frêne ou pas la production d'un artiste?
A. G : Connaître scientifiquement l'objet, le maîtriser trop dans son contexte, dans son histoire m'empêche personnellement de le détourner, de l'utiliser autrement ou de lui coller une autre histoire. Cela s'appelle de l'honnêteté intellectuelle certainement...
P.S : Oui, ne pas avoir trop de connaissances sèches peut aider à prolonger l'objet et même à lui prêter une fonction ou une raison nouvelle. C'est l'augmenter?
Y.D : La connaissance implique des processus, des méthodes...
P.S : Oui, les méthodes d'extraction et d'études sont a priori certaines, du microscope, au dessin, à la photographie, le rapport à l'échelle, le contexte historique et géologique, sont les moyens et les méthodes que nous utilisons de manière universelle.
F.J : la photo remplace-t-elle le dessin aujourd'hui ?
P.S : Non, la photographie a l'avantage de garder les couleurs des sédiments. Par contre les mesures sont faussées par rapport au dessin.
A.G : Tu veux dire que c'est une question de point de vue, donc de position du corps de l'archéologue ?
P.S : Oui, le dessin se fait avec un décamètre qu'on retranscrit sur le papier à l'aide de points reliés. J'ai passé beaucoup de temps à apprendre cette méthode à des étudiants chinois. J'avais oublié la rigueur que cela implique. L'objet a donc deux manières d'être répertorié.
A.G. : Quand l'artiste choisi un objet existant comme point de départ, on peut le dé-contextualiser, ne le prendre que pour ses qualités plastiques, formelles, matérielles. L'archéologue n'a pas cette liberté ou en a-t-il une par rapport à l'objet?
Y. D. : Dans la collecte des faits, on retrouve des styles, des familles de mathématiciens qui apparaissent, c'est dans le processus de sélection par rapport à un segment du réel, prendre ça plutôt qu'autre chose.
P. S : On dit qu'on observe mais en fait on ne fait que des choix. On ne peut pas en effet tout enregistrer. Chaque couche travaillée est détruite, c'est pour cela qu'on enregistre tout, on doit donc choisir ce qui nous semble sur le moment pertinent de garder. La semaine dernière, j'ai participé à un séminaire sur le film documentaire en archéologie, il était dit que la captation n'existe pas car on ne peut pas rendre compte de la réalité réelle. Il n'y a pas d'objectivité possible car l'intentionnalité est déjà un tri sélectif par rapport à la méthodologie. Il y a aussi dans un article d'André Leroi- Gourhan un article sur comment filmer une fouille, il dit que filmer, une expérience anthropologique, ne règlera pas le problème de l'exhaustivité.
M.C : En effet, on ne peut pas mettre une frontière trop imperméable entre la manière dont travail un artiste ou un scientifique car ils sont tous les deux dans une opération de sélection, la différence, c'est alors : l'intention.
T. L. : Je pense que, pour vouloir fabriquer, il faut que l'objectivité s'établisse progressivement par la divergence des hypothèses, une théorie est justifiée quand les ajouts apportés ne sont pas convergents.
M.C.  : Oui, et la différence fondamentale entre l'art et l'archéologie est qu'en art on n' a pas de vérificateurs solides, au même titre que dans le discours scientifique, dans l'inter-subjectivité scientifique.
A.G. : La validation scientifique n'est pas la même bien qu'il existe des codes dans l'art.
T. L. : Accorder une valeur à l'objet d'art servira à l'archéologie de demain..?
P.S : En volume on aura plus de plastique que d'œuvres d'art.
AG : Qu'en est- il des espaces de stockage, des uns et des autres?
F.J : Et la question de la restauration, des restaurateurs spécialisés s'adaptent chaque jour aux nouveaux matériaux d'art. Parfois ils doivent même faire les brocantes et collectionner eux même pour réparer.
P.S : Cela me fait penser à cette pièce de Twombly et le baiser au rouge à lèvres. Les restaurateurs ont utilisé les mêmes méthodes que pour la restauration d'oeuvres de Maîtres. Analyse des composants, marque du rouge à lèvre. ...véritable expérience scientifique.
M.C : Pour revenir au projet avec Bibracte, il va s'agir pour nous de travailler en collaboration avec les chercheurs sur place, de confronter nos méthodologies, de comprendre leur rapport aux objets également. On n'a pas encore de projet définitif, il y a une chose de sûre, c'est que nous voulons réaliser une édition et certainement produire des objets, ça dépendra du matériel sur place. On va essayer de trouver du matériel à partir duquel travailler, des tessons, des fragments, avoir accès aux matériaux, ce serait fantastique. Je pars du principe que les objets peuvent aussi être contemporains, comme leurs outils : les truelles....on ne peut pas être programmatique avec ce projet. Si on trouve un objet intéressant ? On s'interrogera sur la manière dont l'archéologue peut extraire cet objet...Avec ce sujet il y a beaucoup de possibilités, finalement peut être trop...
Y.D : Peut-être qu'on ne s'entendra pas avec eux ?
P.S : Ah c'est sûr que le rapport de l'homme au travail. L'archéologue qui plis est...Un conseil : faites attention aux photographies qui ne sont pas encore publiées, il faut pas les dépasser dans le temps, ça peut poser problème.
La chance que vous avez est de pouvoir inventer une forme d'après des formes que vous connaissez déjà.
M.C : Rien de nouveau ne sort de la nature issue de la pensée mythologique ; du romantisme allemand du XVIIIe, Schelling, moment où se figure un mouvement dialectique entre l'histoire et le besoin de répondre de la mythologie comme introduction à l'histoire.
T.L : Ce qui nous amène à la question du progrès en art.
F. J : les dessins de la grotte Chauvet, et le rapport au regardeur. On s'est interrogé sur la progression technique du style...c'est passionnant.
M.C : Platon était admiratif des Egyptiens car ils dessinent toujours la même chose, ils repassaient sur les mêmes dessins avec les mêmes couleurs, le modèle égyptien en effet implique l'art de la mémoire, car cette action la prolonge de fait. Leur mémoire est plus longue, elle répond à une codification normative.
A.G : Dans l'introduction de l'Homme et la matière d'André Leroi-Gourhan, il parle de peuples qui auraient abandonné volontairement des savoirs faire, des pratiques, remplacé la pierre au profit du bois, et même abandonné le fer au profit de la pierre....
Y.D : C'est comme les modernes qui jouaient primitifs dans leurs représentations picturales.
P.S : Oui mais une chose est sûre, c'est qu'il n'y a pas la même vitesse au sein d'une société même alors ces questions sont toujours fragiles...
CatégoriePropriétéValeur
ObjetGenrepoétique
scientifique
ObjetAuteurAnn Guillaume
Axelle Blanc
Florian Javet
Mathieu Carmona
Pauline Sebillaud
Thierry Leviez
Yann Desfougères
ObjetTypeDispositif
Rencontre
Expérimentationlaboratoiretable ronde 1
Expérimentationtraces enregistrement
photographie