Table Ronde VI

Représentation du temps par : Rémi Berthon - Mathieu Carmona - Alexandra Sà

Avec : Remi Berthon / Alexandra Sà / Mathieu Carmona

A. G. : Théophile Gautier a beaucoup cité des ruines dans ses textes, il traite des ruines au travers la notion de déception, l'homme s'attend sur des vestiges à ce que le passé lui saute au visage et rien ne s'y passe pourtant. Nous ne sommes pas dans La Gradiva de Jenssen, c'est l'inverse.

R. B. : Ca va à l'encontre de tous les peintres qui étaient spécialisés dans les ruines : ça me fait penser à ce peintre Hubert Robert qui faisait le grand tour en Italie au XIXème pour relever les plus belles ruines. L'archéologue spécialiste des ruines... mon imaginaire ne s'est pas développé en voyant ce genre de représentation, le côté pompier, et la carte postale ne m'attirent pas du tout bien que j'aime la profondeur de la prise de conscience, le côté si réaliste ne laisse que peu de place à l'imagination.

A.G. : Comment devient-on archéologue?

R. B. : Je ne sais pas, cela m'a toujours tenté, j'ai toujours voulu aller au Proche-Orient, peut-être à cause des lectures d'Agatha Christie, ces livres autobiographiques où elle raconte sa vie avec son mari archéologue, c'est fascinant. Le coté orientaliste dans l'archéologie, j'aime m'ancrer dans le passé, pourquoi archéologie et pas historien alors ?

A. S. : J'ai préparé une question avant de venir : d'après un film de Guy Madin, il traite des fantômes, des objets et de leurs pouvoirs magiques, il a une phrase d'après la poétique de l'espace de Bachelard "Ce livre est la plus belle étude sur la phénoménologie de l'espace intérieur, il décrit que chaque pièce, chaque armoire, chaque recoin peut signifier pour les personnes qui y vivent les sentiments qu'ils font naître en eux et les souvenirs ou les fantômes qu'ils évoquent". C'est comme avec la grotte des rêves perdus, je me dis que quand on est dans une grotte, on doit se reconstruire une histoire, se créer une fiction à partir de représentations pourtant si éloignées de nous. Est-ce avec la fiction comme support à l'étude que vous travaillez? La grotte, cet habitat et cette époque, comment on se projette dans le passé, comment ça procède?

R. B. : La marge d'interprétation? Elle est forte bien sûr, souvent il y a peu de gens à part l'archéologue (qui va écrire l'article) qui vont avoir accès à la source, ce qui veut dire que la part de la fiction sera difficile à extraire car on peut décrire ce qu'on voit et de toutes façons, les choix sont déjà une interprétation en soi. On peut prendre en exemple les peintures minoennes, Ewans au 19 ème siècle, les peinture représentaient ceci cela et des années plus tard on est allé voir les restaurations et les originales, il n'y avait pas grand-choses qui restait, ils ont inventé. On ne peut plus revenir en arrière. C'est commun pour les Bushmens, les archéologues puisent dans ce peuple des sortes d'imagiers où ils vont puiser leur interprétation par comparaison pour décrire les origines de l'art des grottes occidentales. Cette tribu vit comme au paléolithique. Cette technique était très utilisée par l'abbé Breuil, par exemple à la fin du XIXème siècle, on les étudie pour construire un discours, un discours sur l'imaginaire, cet actualisme est, selon moi, dangereux. Un ethnologue en Australie a fait venir des Indiens dans une grotte ornée, c'est tout aussi faux que de se servir d'un roman pour interpréter.

A.G. : Mieux ne vaut-il pas se tromper que de laisser un objet ou un site ou une image sans explication?

R. B. : C'est utile oui, mais ça doit être utilisé au même titre que d'autres sources, quand ça se fond dans une interprétation, ce raisonnement scientifique perd les sources, surtout sur l'art préhistorique bien sûr.

A. G. : La démarche du déjeuner sous déjeuner n'invente rien, ne sert à rien à l'archéologie et à l'art?

R. B. : Il est question ici de taphonomie, c'est la volonté de laisser des objets se dégrader pour voir la trace qu'ils laissent. C'est une approche d'archéologie expérimentale.

A. G. : Pourquoi l'artiste va vers ce genre de démarche alors? Qu'est-ce que c'est que l'imaginaire scientifique? Est-ce par besoin de valider son œuvre?

M. C. : Quand l'artiste fait mention de science, c'est toujours à partir de découvertes spectaculaires, des thématiques s'apparentant à la science-fiction, ça ouvre certainement un tas de potentialités, et les artistes s'engouffrent dedans. On croit plus de nos jours que les scientifiques sont des gens ennuyeux, on s'imagine qu'ils se posent des questions existentielles, c'est ça qui nous intéresse.

R. B. : C'est un débat qui a lieu à l'intérieur de la science même. Les découvertes les plus "sexy" sont les plus subventionnées. La découverte de la plus ancienne Vénus fait la une de Science ou Nature, alors que cela a un intérêt peu probant pour la recherche, mais ça plait au public, et c'est cela qui est mis en avant. Bien que ce ne soit pas porteur d'un point de vue scientifique réel.

A. S. : La validation par l'appropriation des sciences, je n’y crois pas est -ce que, à l'inverse, les scientifiques viennent vers les artistes?

R. B. : Ce qui me fascine, c’est le fait que les archéologues préhistoriens font souvent appel aux artistes pour justifier leurs travaux, leurs recherches. Quand on voit une grotte ornée, on dit art préhistorique. En quoi c'est de l'art pour vous ? C'est quoi l'origine de l'art ? Cela rend leurs découvertes aux yeux du public plus intéressantes. Qu'en pensez-vous?

A. S. : Dès qu'il y a une forme de représentation, la justesse de la captation, de dessin, du détail, je dirais oui c'est de l'art.

M. C. : La dénomination qui valide la définition de l'art pariétal, accès autour de la représentation, de la mimésis, ça leur semblait naturel, qui dit figure dit art. Aujourd'hui, dans le cadre de la vulgarisation, on joue sur cette ambiguïté. Une peinture et ses qualités plastiques, c'est définir les frontières de ce qui est de l'art et de ce qui n'en est pas.

R. B. : Comment on peut qualifier, ce qui est de l'art ou pas?

A. G. : Une grotte avec un crâne d'ours, ce ne sont pas des représentations, ni des sculptures. Qu'est-ce que c'est ?

R. B. : Pour moi c'est du symbole pur. Est-ce de l'art? Le rituel devient symbole et donc art ? C'est ce sens?

M. C. : Oui, le symbole est de l'art. Pour définir ce qui est de l'art ou non, je m'appuie sur ce que cet objet provoque, une émotion esthétique ou non.. suffisamment large pour accueillir un certain nombre de choses, bien sûr il y a des contextes, cela c'est la deuxième étape de la dénomination.

A.G. : On parle d'art en archéologie, souvent pour l'époque de la préhistoire. À l'âge du bronze, ton époque de prédilection, quel objet pourrait être aussi difficile à identifier qu'un crâne posé sur un monticule de pierre?

R. B. : Quand j'ai affaire a des objets inconnus dans les contextes que j'étudie, et que j'ai des doutes, que j'ai du mal à retrouver l'intention de l'artiste, que ces objets sont manufacturés comme une poterie, je me demande simplement est-ce artisanal ou artistique, quand c'est peint ou brut? C'est une manière de classer l'archive.

A. S. : Pendant longtemps, l'art incluait les arts décoratifs, la séparation est récente.

M. C. : Tu ne postules pas une définition de l'art.

A. G. : Qu'est-ce qu'on préfère au final? Avoir affaire à de l'art ou à de l'artisanat? La manière de manipuler les objets varie-t-elle en fonction du statut de l'objet?

R. B. : On analysera les choses avec les même méthodes, bien que la première étape avec un objet c'est de le classer.

A. G. : C'est pour cela que j'ai souvent entendu dire par les archéologues qu'il vaut mieux trouver un objet qui a une famille plutôt qu’ un qui n'en a pas encore.

R. B. : Si on dit c'est de l'art on part sur une idée et on ne pourra pas revenir en arrière.

A. G. : L'art est plus autonome, il n'entre pas dans un réseau aussi clair de classification de l'objet. C'est pour cela qu'il a fallu créer des règles, celle de dire qu'il faut trouver 10 fois un même objet pour pouvoir le prendre en compte. Sinon ce peut être une aberration de la nature, comme une pierre figure par exemple. Vaut-t-il mieux en art appartenir à une famille ou être autonome? Existe-il encore des familles?

R. B. : D'un jour à l'autre, parce que la génétique est arrivée, tout le classement des sciences naturelles a changé. Si je regarde ces photographies (Lola Rebond) je ne suis pas obligé de voir l'engagement artistique, je peux essayer de les classer autrement : il y en a une avec des gens, et l'autre sans, ça fait deux catégories, catégorie 1 avec et catégorie deux sans. Je vais être à des années-lumière de ce qu'a voulu montrer l'artiste. Je connais cette œuvre mais pour autant ce classement tient la route. Les archéologues qui travaillent avec des textes auront la définition peut être de l'objet ou l'intention de l'artiste. Il n'y a pas de textes pour ma période, en -3000. Il peut y en avoir mais pas sur le statut de l'artiste. Malheureusement dans ce cas-là c'est l'archéologue qui va décider si c'est de l'art ou non.

A. G. : Tu dis Malheureusement, j'aurai pensé heureusement, c'est un grand pouvoir, un privilège, non?

A. G. : Mon but est de comprendre les sociétés anciennes, à partir de plusieurs indices, si c'est moi avec ma vision, c'est contre-productif...Je vais tout biaiser. Il faudrait créer encore d'autres outils plus objectifs.

M. C. : Le concept d'art tel qu'on l'entend aujourd'hui à l'époque n'existait pas de la même manière. Entre un objet utilitaire et esthétique..

A. S. : Quand il est associé à un rituel, à une action, ces données enlèvent la qualité de statut d'art ou en rajoute?

R. B. : Oui, on essaie de faire la différence entre leur usage, on n’a des céramiques que dans les tombes, pas dans la vie domestique, faites dans un but précis et différent de son usage. Le rituel pour moi est artistique. Il reconstitue la vision du monde d'une personne c'est de l'art. Il y a un concept dans le rituel.

A. G. : Le rituel pour moi sert à maintenir un état plutôt qu'à le changer. Cette idée de faire perdurer un état est intéressante dans la répétition du geste.

M. C. : J'ai l'impression qu’un rituel c'est la réitération d'un geste, de temps immémoriaux, d'actions accomplies par les héros d'avant, les divinités peut-être, cela implique une vision cyclique dans l'histoire. Il faut refaire telle action accomplie par tel personnage pour le bon ordre du cosmos..

A. G. : Le rituel n'est pas affaire d'inventer...

R. B. : Et pourtant, il y a la notion d'évolution dans le rituel. Mais ils évoluent le plus lentement.

A. G. : C'est l'expérience de la cage et les singes, belle métaphore de la transmission.

R. B. : Est-ce que l'art est là pour changer les choses, témoigner de son époque ? Il est sanction plus que réformateur. L'art est tellement polymorphe qu'il fait des généralités de toute la production sociale. Il est lié à son contexte, c'est évident, objet témoin d'une époque e son époque même malgré lui.

A. S. : L'art sert à donner des lectures du monde et sert à faire des nouvelles propositions?

A. G. : Justement au sujet du contexte? Le sens de certaines œuvres a perdu leur lien avec le contexte, on ne peut plus les comprendre comme à l'époque. Le lien entre art et archéologue c'est le contexte, non? Par rapport au contexte et au musée. Quelle est la mission du musée, exposer par exemple les arts premiers...

M. C. : Chez Sheffer, les objets sont témoins de pratiques, d'autres importent par leurs qualités plastiques, et servent à être exposés comme un objet d'art. Sa position c'est de renvoyer dos à dos ces deux positions. Elles sont toutes les deux valables, ce n’est pas choquant, c'est juste qu'on ne sollicite pas les mêmes interprétations. Qu'est-ce qui est plus légitime?

R. B. : Même dans le milieu scientifique, on préfère les montrer comme étant des objets d'art. Tout est artificiel, le faux contexte comme l'objet exposé. Un fétiche, objet qui est manipulé par un chaman, objet magique ayant malgré tout des qualités plastiques, esthétiques et renvoyant une émotion au regardeur. Au Musée de l'Homme, on verra un masque exposé avec un pagne accompagné de photographies, voire de vidéos avec les chants différentes de l'option du Quai Branly, qui verra cet objet exposé dans un cube blanc, on enlève le pagne tout son contexte. Le masque devient sculpture en bois. Peu d'informations sur le cartel, on se passerait alors de savoir si ce masque vient du Ghana ou du Gabon. Prendre un plaisir visuel, c'est compréhensible et un sujet muséographique intéressant mais ça me laisse sur ma faim.

A.S : Qu’est-ce qu'on veut donner au public? Cela interroge la question de la pédagogie et de la politique des musées. Oui les deux se valent...on pourrait faire deux accrochages différents pour un même objet?

R. B. : L'ananas, quand je l'ai vu, je ne savais rien et ça m'a plu, c'était purement visuel, mais quand on a fait un tour ensemble, j'ai eu un autre plaisir, celui de la connaissance. Il pourrait être exposé dans une vitrine, c'est un bel ananas avec un beau pull, et l'autre avec des textes explicatifs, on en retire deux choses différentes, oui ça se vaut. Dans un musée archéologique il resterait les fanes de l'ananas pourri et la laine bouffée par les mites, et des explications par cartel. Dans une expo type Quai Branly, serait exposée la partie la plus belle de l’œuvre, choisir d'exposer les fragments en fonction de leur conservation.

R. B : Au niveau artistique, selon vous quelle est la différence entre une œuvre qui a rencontré son public et celle qui ne l'a pas?

A. G : Tu veux dire à partir de combien de publics une œuvre est une œuvre? Une personne suffit-elle ou en faut-il 40? Il faut qu'elle soit présentée comme une œuvre, ce n'est pas le nombre qui compte mais son accrochage.

M. C. : La trace d'une intentionnalité. Il n’y a pas de langage privé, il n' y a pas d’œuvre privée, mais pour la faire fonctionner, il faut quelqu'un. La volonté du créateur n'est pas nécessaire.

A. G. : Ce serait donner beaucoup de place au commissaire, si c'est lui qui décide qu'une œuvre est une œuvre.

R. B. : l'art brut est souvent fait par des personnes qui n'ont pas conscience de faire de l'art. Qui décide que c'est une œuvre ? L'imaginaire artistique occidental c'est construit autour de l'art grec, il ne devaient pas, eux les Grecs, se prendre pour des artistes.

R. B. : Je dois décider alors qu'un objet est une œuvre alors que je n’ai pas de légitimité à le faire, c'est contradictoire.

A. G. : Au niveau de la manipulation de l'objet? Dans l'étude, en fonction d'un objet d'art ou usuel, est-ce qu'on prend plus de soin avec la Joconde qu'une fourchette?

R. B. : Si on a deux céramiques différentes, l'archéologue choisira naturellement la plus jolie, on est influencé par l'aspect esthétisant dû à la définition de l'art, il l'enverra dans de la mousse au restaurateur, elle ne sera pas brossée rapidement sous l'eau comme l'autre tesson de céramique moins belle. La plus grossière sera dessinée, l'autre photographiée et publiée...grand privilège.

A. G. : On ne décide pas de choisir à ce moment précis, on va vers la couleur ou la plus jolie plutôt que l'autre, on va vers la pièce qui laisse entrevoir le temps que l'auteur a passé à la réaliser?

R. B. : Toutes les œuvres d'art ne sont pas esthétiques, même si elles sont faites avec soin. L'artisanat en revanche est très beau malgré qu'il n'y a pas de message.

M. C. : L'art contemporain est un art réflexif, il se pense lui même, c'est le fruit d'une interprétation de l'art qui vient avec Kant et la faculté de juger est ce qui plait sans concept universellement. En passant par les romantiques, cette pratique serait émancipée des autres pratiques. C'est l'idée qui importe. L'idée prévaut sur le reste.

R. B. : l'idée est justifiée par un discours.

A. G : Ce qui réconcilie ces questions est : l'anthropologie de l'art. Suivre une forme représentée dans l'art, dans l'artisanat, dans les objets utilitaires ou usuels. C'est en effet la figure qu'il file et non là où elle se trouve.

M. C. : C'est fondé sur des analogies formelles?

R. B. : il y a beaucoup d'archéologues qui travaillent comme ça, ça donne en effet la possibilité de s'ouvrir l'esprit. On trouve un objet en Lorraine datant du Moyen Âge dont on ignore totalement l'utilité, art, outil? Afin de le comprendre, on le compare et on se rend compte qu'il ressemble à l'outil qu'utilisent les femmes birmanes pour peigner la laine. Est-ce réellement son utilité? C'est un raisonnement basé sur ce qu'on connaît du monde, avoir une vision exhaustive, ça tient du classement, je préfère une approche plus contextuelle et moins typologique.

M. C. : C'est comme Le site VVORK, qui est une sorte de catalogue d’œuvres d'art contemporain. Les pièces sont classées en fonction de critères purement plastiques, formels, tout ce qui sera bleu ou tout ce qui aura un coté antiquisant. Le parti- pris est douteux selon moi.

A. G. : C'est une histoire de collection, d'agrandir la collection, c'est beau la collection. Le choix de mettre deux images en commun, ça suffit à faire parler ces images?

R. B. : C'est une technique comme une autre, il faut la prendre en commun, mais il faut appliquer plusieurs techniques de raisonnement sur un objet. On dit interdisciplinarité pour définir ce projet d'étude.

M. C. : Dans l'art malgré tout, on entend dans appels pour des plus grandes porosités dans les champs des savoirs, c'est vrai qu'il faut se positionner.

R. B. : En archéologie, on parle d'approche de groupe, on ne fait plus un projet tout seul. L'idée du groupe. Pour qu'on collabore et qu'on se parle, il faut en savoir un minimum sur les disciplines des autres pour qu'on puisse s'entendre, nos deux disciplines sont-elles trop proches ou trop éloignées?

A. G. : comment nous, artistes et vous archéologues, on peut travailler ensemble, par exemple à la première table ronde, M.C et Y.D vont faire une résidence à Bibracte, ils demandent à P.S ce qu'ils doivent et ne pas faire face à des archéologues. Elle leur répond qu'il ne faut jamais publier des photos d'un site sur lequel ils travaillent avant eux. Pour nous artiste, la photographie est artistique et pas scientifique, voit-on la différence? On ne la voit pas forcément et pourtant il y en a une.

R. B. : Ce genre de laboratoire prouve qu'on peut discuter. On a des bases proches, je crois, mais en effet il y a des règles, l'archéologue est une louve, il ne faut pas chasser ses petits. La propriété scientifique est très importante. Un archéologue célèbre au Tchad n'a jamais donné les coordonnés de son hominidé le plus vieux, de peur d'en retrouver un autre, si on retrouve un autre on touche à sa propriété. Nous sommes les inventeurs, il peut demander un dédommagement pour des photographies qu'on publie d'après son site, c'est comme un droit d'auteur. Il a un statut juridique, après, quand on travaille pour une Université, ou une Drac, ça ne t'appartient pas. Les propriétaires ont eux aussi des droits. Comme le conflit de la grotte Chauvet, fut-elle découverte à titre privé ou dans le cadre du travail des inventeurs ? L'inventeur d'un site, d'un objet archéologique.

A.G. : c'est très Frankenstein comme terme.

R. B. : Oui car on s'approprie l'objet qu'on a trouvé, telle personne va révéler le caractère artistique ou historique de tel endroit.

A. G. : Quand on est archéologue, la question, du premier à découvrir ou du premier objet de sa catégorie, est alors importante, un peu comme l'artiste rêve encore de révolutionner le concept ou la forme.

R. B. : On espère, mais c'est vicieux comme processus, forcément la publication pèse dans la balance, une fois que c'est noté, classé, sur des critères quantitatifs, elle aura un impact dans la communauté scientifique. Si on publie le plus ancien ou la plus ancienne occurrence, ce sera bon pour notre renommée.

A. G. : Finalement il y a moins de concurrence entre artistes?

M. C. : C'est comme si les artistes avaient le même type de pratique, ce n’est plus possible.

A. S. : En terme de renommée, elle se quantifie au nombre d'expositions, d'articles.

R. B. : Ou voler l'idée de l'autre, ne pas être reconnu pour soi, c'est terrifiant. En tant qu'artiste, ça arrive de voir des pièces d'artistes qui ressemblent à celle qu'on a faites ou qu'on aurait pu faire. Chercher à classer les formes des artistes, il n’y pas d'artistes qui surgissent de nulle part, même un artiste avec des pratiques en rupture sera toujours inscrit dans une linéarité. Les artistes appartiennent toujours à un réseau, même Duchamp, si on le re-contextualisait dans son époque, son urinoir n'est pas arrivé comme ça.

A. G. : L'archéologie est-elle rétrospective et quand l'art est prospectif? La question c'est le rapport au présent?

R. B. : L'archéologie c'est une psychanalyse à l'échelle de la société, si j'essaie de comprendre des sociétés anciennes, c'est pour comprendre les sociétés modernes, travailler à l'échelle d'une échelle de société pour la nôtre et travailler au Moyen-Orient plutôt qu'en France? La problématique est transversale, la relation entre l'homme et son environnement est mondiale, elle n'est pas liée qu'a une région celle où je suis né par exemple. La problématique de l'insularité par exemple, comment l'homme va se développer dans l'isolement, en Bretagne, dans la mer de Chine, partout. Le sujet est de comprendre des phénomènes sociétaux pas que relative du passé.

A. G. : Voit-on des ruptures dans ces époques-là? Revenir en arrière? Quels chemins l'homme a pris ?

R. B. : Si on réfléchit à l'expansion du néolithique, il y a des régions qui sont encore encerclées par des chasseurs, cueilleurs. Après l'apparition de l'élevage, ils repassent à la domestication, il y a en effet des allers- retours qui mettent à mal la notion de progrès...L'étude qualitative de l'évolution cherche à s'adapter au temps.

A. G. : Comment tu dessinerais le temps, quelle est ta représentation du temps? C'est un fleuve. On n’est jamais assis deux fois devant le même fleuve, même si on revient en arrière on ne revient jamais réellement au même endroit, si on refait le processus une deuxième fois, ce sera différent; je vois plus l'idée du développement linéaire avec des écarts.

A. S. : Cela peut s'apparenter à notre époque : ceux qui s'isolent, et décident de vivre autrement?

R. B. : Il y a une île ou l'homme "moderne" n'a pas le droit d'aller, pour les laisser vivre, il y a un choix un moment car rien ne les empêche de vivre comme leur voisin.

R. B . : Il y a des points sans retour, il y a des choses qui ne se pérennisent pas, il y a des choses qui remontent du passé, et des cycles qui s'agrègent là-dessus, comme un fleuve qui avance mais avec des tourbillons qui stagnent et qui redémarrent.

M. C. : Il y a deux manières de voir le temps, l'objet endurant et l'objet persistant, le premier est substance traversée par le temps, et l'autre à travers l'objet aurait une dimension temporelle, ce serait la 4ème dimension. Dans nos propriétés, on est tous nous, nous maintenant, nous ce matin, nous il y a 10 ans...étiré dans le temps, ce sont des propriétés de la substance, le temps n'inter-réagirait pas sur toi, c'est toi qui est le temps. Les premières pattes seraient celle d'enfants et les dernières celles d'aujourd'hui. Au niveau macro il n'y a pas de temps mais que des systèmes, des perceptions par rapport à des agencements. Si pour être identique il faut avoir les même propriétés, est ce que Platon assis ressemble à Socrate debout?

R. B. : On remet ce personnage, cet objet dans son action mais en la dévoyant, elle devient un monstre car elle n'est pas la même. C'est monstrueux ce qu'on remet au jour car ce n'est pas ce que c'était réellement à l'époque. On colle des bouts ensemble et on recrée une société, des villes...on accueille tous les genres de fantômes, les gentils comme les méchants, on n’est pas là pour choisir. On fait une archéologie où on évacue les choses qui ne nous parlent pas, des qui mangent du chien ou du cannibalisme on n'en parle pas, ça dérange, alors qu'en Suisse il y a un site celtique ou il y a du cannibalisme, nos ancêtres mangeraient des hommes? C'est un fantôme qu'on accepte, on fait la psychanalyse de la société, l'archéologie de l'esclavagisme fait vraiment mal, il nous faut être objectifs et détachés.